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de l’enfer avec des voluptés sinistres ; j’ai passé une nuit affreuse…

Elle frissonnait, et Geneviève la regardait pâlir d’un air singulier de contentement.

— Ce n’est pas moi, disait-elle, qui vous donne des cauchemars. Si vous ne pouvez dormir, c’est que le démon est dans votre corps et qu’il vous tourmente, dès que vous avez éteint votre bougie.

— Vous êtes folle, criait Madeleine plus blanche qu’un linge, vous cherchez à m’effrayer comme si j’étais un enfant… Mais je ne suis pas poltronne, je ne crois pas à vos contes de nourrice.

— Si, si, répétait la fanatique avec une conviction d’hallucinée, vous êtes possédée… Quand vous pleurez, je vois Satan qui gonfle votre cou. Il est dans vos bras agités de gestes fous, dans la chair de vos joues contractées par de rapides crispations… Eh ! tenez, regardez votre main gauche en ce moment ; voyez-vous les convulsions qui en tordent les doigts : Satan est là, Satan est là !

Elle jetait un cri, elle reculait comme devant une bête immonde. La jeune femme regardait sa main dont un frémissement nerveux agitait en effet les doigts. Elle se taisait, elle ne trouvait plus une seule parole de colère et de protestation. « Geneviève a raison, pensait-elle. Ce n’est pas elle qui m’effraie, l’effroi est en moi, dans ma chair coupable. La nuit, lorsque j’ai des cauchemars, ce sont mes souvenirs qui m’étouffent. » Alors elle s’abandonnait, elle acceptait la présence de la vieille servante. Toutes leurs querelles finissaient ainsi. Madeleine en sortait plus épouvantée. Dans son effarement, elle confondait Jacques qu’elle sentait toujours en elle, avec le démon que la protestante prétendait voir s’agiter sous sa peau. Le mépris dont l’accablait cette dernière, l’horreur sainte qu’elle paraissait éprouver à sa vue, l’enfonçaient dans des rêveries amères : « Je suis donc bien infâme, se disait-elle, que cette femme refuse de toucher les objets dont je me suis servie. Elle frissonne à mon aspect, comme si elle