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Mais elle n’acceptait pas toujours sans révolte les cauchemars que lui donnait l’attitude de Geneviève. Parfois, elle s’irritait de la retrouver sans cesse impitoyable devant elle ; quand elle la voyait repousser le pain qu’elle venait de couper, quand elle rencontrait le regard dur dont elle la poursuivait, elle finissait par entrer dans des colères aveugles. Il lui restait des élans d’orgueil qui la redressaient sous les continuelles blessures de la protestante. Alors elle disait qu’elle entendait être maîtresse chez elle, elle s’emportait jusqu’à la rage.

— Je vous chasse, criait-elle à la vieille femme. Quittez cette maison sur l’heure… Je ne veux pas ici d’une folle.

Et, comme Guillaume baissait la tête, n’osant souffler mot, elle se tournait vers lui, elle ajoutait violemment :

— Tu es donc lâche, toi !… Tu ne peux seulement pas faire respecter ta femme… Débarrasse-moi de cette folle, si tu m’aimes encore.

Geneviève souriait étrangement. Elle se levait, grande et roide ; elle fixait sur Madeleine ses yeux ronds, brûlés d’un feu sombre.

— Il n’est pas lâche, disait-elle de sa voix sèche, il sait bien que je n’insulte personne… Pourquoi vous révoltez-vous, quand c’est Dieu qui parle !

Elle montrait sa Bible, elle avait sur la face une joie diabolique. Puis des fureurs la prenaient à son tour, elle continuait en élevant le ton :

— C’est toujours ainsi… l’impure veut lever la tête et mordre les femmes honnêtes. Il serait beau, vraiment, que vous me chassiez de cette maison où je travaille depuis trente ans, vous qui y êtes entrée pour y amener le péché et les larmes… Regardez-moi donc, et regardez-vous. J’ai cent ans bientôt ; j’ai vieilli dans le dévouement et la prière, je n’ai pas une faute à me reprocher, lorsque je songe à ma longue vie. Et vous voudriez que je faiblisse devant vous, que je fusse assez niaise pour vous céder la