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avait inventé de me baiser sur le cou, par petits baisers légers et rapides, de façon à produire avec ses lèvres, à peine posées sur ma peau, une sorte de caquètement continu, assez semblable à celui des poussins. « Je vais faire le petit poulet, » disait-il en plaisantant…

— Tais-toi, tais-toi, Madeleine ! cria violemment Guillaume.

Elle avait quitté la fenêtre. Elle se trouvait devant le lit qu’elle contemplait d’un air étrange.

— C’était en été, reprit-elle d’une voix plus basse. Les nuits étaient brûlantes. Les deux premiers jours, Jacques a couché à terre sur un matelas. Lorsque je n’ai plus eu la fièvre, nous avons ajouté ce matelas à ceux sur lesquels j’avais dormi. Le soir, en nous couchant, nous trouvions le lit plein de bosses. Jacques prétendait par moquerie, que nous mettrions vingt paillasses les unes sur les autres, sans parvenir à rendre notre couche plus molle… Nous laissions la fenêtre entr’ouverte, et, pour avoir un souffle d’air, nous écartions ces rideaux de cotonnade bleue. Ce sont toujours les mêmes, je vois là un accroc que j’ai fait avec une épingle à cheveux… J’étais déjà forte, Jacques n’était pas mince, et le lit nous semblait bien étroit…

Guillaume, exaspéré, vint se mettre entre le lit et Madeleine. Il la poussait vers la cheminée, il avait des envies terribles de la serrer à la gorge, de lui appuyer ses poings sur les lèvres, pour la réduire au silence.

— Elle devient folle, balbutia-t-il, je ne puis pourtant pas la battre.

La jeune femme arriva à reculons jusqu’à la table, en regardant le visage pâle de son mari d’un air hébété. Quand elle se fut heurtée, elle se tourna vivement et se mit à chercher ; elle promenait sur le bois graisseux la lueur de la bougie, interrogeant chaque tache qu’elle apercevait.

— Attends, attends, murmura-t-elle, je dois avoir écrit quelque chose là… C’était la veille de notre départ,