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de certitude… Est-ce que tu espères tuer le passé ? Ah ! vraiment, cette chambre te semblait un coin perdu, une solitude reculée où personne ne pouvait venir se dresser entre nous ; tu me disais que nous étions seuls, hors du monde, plus haut et plus loin, et que nous allions passer ici une nuit d’amour paisible. Eh bien ! l’ombre et le silence de cette chambre étaient menteurs, l’angoisse nous attendait dans ce logis inconnu où nous ne devions rester que quelques heures.

Son mari l’écoutait, abattu, les yeux à terre, désespérant d’arrêter le flot furieux de ses paroles.

— Et moi, continua-t-elle, j’étais assez niaise pour croire qu’il y a des lieux où l’on oublie. Je me berçais de tes rêves… Vois-tu, Guillaume, il n’y a plus de lieux où nous puissions être seuls. Nous aurions beau fuir, nous cacher au fond des retraites les plus closes, le destin saurait nous y atteindre, nous y trouverions ma honte qui nous affolerait. C’est que je porte la souffrance en moi : il suffira maintenant d’un souffle d’air pour aviver mes plaies. Dis-toi que nous sommes traqués comme des bêtes blessées qui cherchent vainement un abri de buisson en buisson, et qui finissent par mourir dans quelque fossé.

Elle s’arrêta un instant, puis elle reprit d’un ton plus irrité :

— C’est notre faute, je le répète. Nous ne devions pas avoir la lâcheté de fuir. En quittant la Noiraude, le soir où cet homme est venu, souviens-toi, je te disais que les souvenirs étaient lâchés et qu’ils me poursuivaient. C’est là, la meute hurlante qui nous traque. Je les entendais courir furieusement derrière moi, je les sens à cette heure me mordre, entrer leurs ongles dans ma chair. Ah ! que je souffre ! mes souvenirs me déchirent.

En poussant ce cri, elle porta les mains à sa poitrine, comme si elle eût réellement senti des dents de chien s’y enfoncer. Guillaume était las de souffrir ; les paroles cruelles de sa femme commençaient à lui causer une sorte d’impatience nerveuse. La volupté âpre qu’elle prenait à