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MADELEINE FÉRAT

enclôt une sorte de cour plantée d’arbres maigres. Cinq ou six bosquets couverts de houblon s'appuient contre cette haie. Ce sont les cabinets particuliers du cabaret ; des tables et des bancs de bois grossiers s'y allongent, fixés dans la terre ; sur les planches des tables, les culs des verres ont laissé des ronds rougeâtres.

L’hôtesse, une grosse femme commune, poussa un cri de surprise en voyant Madeleine.

— Ah ! bien, cria-t-elle, je vous croyais morte ; il y a plus de trois mois qu’on ne vous a vue… Vous vous portez bien ?…

À ce moment, elle aperçut Guillaume et retint une autre question qu’elle avait sur les lèvres. Elle parut même décontenancée par la présence de ce jeune homme qui lui était inconnu. Ce dernier vit son étonnement et se dit qu’elle s'attendait sans doute à un autre visage.

— Bien, bien, reprit-elle, en se faisant moins familière, vous voulez dîner, n’est-ce pas ? On va dresser votre couvert dans un bosquet.

Madeleine avait reçu tranquillement les marques d’amitié de la cabaretière. Elle défit son châle, ôta son chapeau, et alla porter le tout dans une chambre du rez-de-chaussée qu’on louait à la nuit aux Parisiens attardés. Elle paraissait chez elle.

Guillaume était entré dans la cour. Il se promena çà et là, assez embarrassé de ses membres. Personne ne faisait attention à lui, tandis que la laveuse de vaisselle et le chien lui-même fêtaient Madeleine.

Quand celle-ci revint, elle avait retrouvé son sourire. Elle s'arrêta un instant sur le seuil ; sa chevelure, libre et nue, flambait dans un dernier rayon de soleil, donnant une blancheur de marbre à sa peau ; sa poitrine et ses épaules, débarrassées du châle, avaient une largeur puissante et des souplesses exquises. Le jeune homme jeta un regard, plein d’une admiration inquiète, sur cette belle créature frémissante de vie. Un autre sans doute l’avait vue ainsi souriante sur le seuil de cette porte. Dans le