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— Je vais descendre un instant à l’écurie. Je veux voir comment ce garçon a soigné mon cheval… Tu n’auras pas peur seule dans ma chambre ?

— Peur de quoi ? reprit la jeune femme en riant. Tu sais bien que je ne suis pas poltronne… Tu me retrouveras sans doute couchée. Dépêche-toi.

Ils se donnèrent un dernier baiser. Guillaume descendit, laissant la clef sur la porte.

Quand Madeleine fut seule, elle resta un moment absorbée, contemplant le feu avec le vague sourire que les paroles tendres de son mari avaient mis sur ses lèvres. Comme elle venait de le dire, elle éprouvait un grand apaisement, elle se sentait bercée par de nouveaux espoirs. Jusque-là, elle n’avait pas jeté un regard dans la chambre ; elle était venue, en entrant, droit à la cheminée pour se chauffer les pieds et y était demeurée, assise sur les genoux de Guillaume. Lorsqu’elle sortit de son immobilité, elle voulut ranger avant de se coucher, les quelques paquets que le garçon avait montés et jetés au hasard. Elle leva les yeux, elle regarda autour d’elle.

Tout son malaise lui revint alors, sans qu’elle pût d’abord s’expliquer la terreur vague qui la reprenait. Elle était secouée par la même sensation de répugnance et d’anxiété qu’elle avait déjà ressentie dans la cour de l’auberge. Il lui semblait reconnaître la chambre ; mais la bougie éclairait si faiblement les murs qu’elle ne distinguait rien nettement. Elle se traita de folle, de peureuse, pensant qu’elle rêvait debout. Tout en raisonnant pour se rassurer, elle poussait les paquets dans un coin. Il manquait un sac de nuit. Elle le chercha des yeux et l’aperçut sur le marbre de la commode, où le garçon l’avait déposé. Il masquait entièrement la pendule de verre filé. Quand Madeleine eut pris le sac et qu’elle eut découvert cette pendule, elle resta clouée devant elle, horriblement pâle.

Elle ne s’était pas trompée : elle connaissait l’auberge, elle connaissait la chambre. Elle y avait couché autrefois avec Jacques. L’étudiant était un canotier enragé ; souvent