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et courut après le cabriolet. Lorsqu’elle l’eut atteint, elle s’accrocha à une des lanternes, elle accompagna ainsi la voiture en courant toujours. Elle prononçait des paroles confuses que le bruit des roues empêchait d’entendre.

— C’est quelque mendiante, dit Madeleine, en se penchant et en apercevant le costume misérable de cette femme.

Guillaume lui jeta une pièce de cinq francs. Elle la reçut au vol, mais elle ne lâcha pas tout de suite la lanterne. Quand Madeleine s’était penchée, elle avait poussé un cri étouffé. Maintenant elle la regardait avec une étrange fixité.

— Retirez-vous, lui cria Guillaume, qui sentait sa femme frissonner sous le regard de la pauvresse.

Lorsqu’elle se fut enfin décidée à lâcher prise, il rassura sa compagne.

— Oh ! je n’ai pas eu peur, dit Madeleine encore toute tremblante… Mais pourquoi me regardait-elle ainsi ? Le mouchoir noué autour de son visage m’a empêcher de distinguer ses traits. Elle avait l’air vieux, n’est-ce pas ?

— Oui, répondit son mari. J’ai entendu parler d’une fille de la contrée, qui s’était sauvée à Paris, et qui en est revenue à moitié folle… C’est peut-être elle.

— Quel âge peut-elle avoir ?

— Ma foi, je ne sais pas… T’imaginerais-tu qu’elle nous connaît ?… Elle demandait simplement une autre pièce de cinq francs.

Madeleine garda le silence. Elle éprouvait un vague malaise en songeant aux regards fixes que la mendiante avait attachés sur elle. Elle pencha la tête hors de la voiture, et la vit qui courait toujours à quelques pas des roues. Cela lui causa une véritable terreur, mais elle n’osa reparler de cette femme à son mari.

Le cabriolet entrait dans les rues de Mantes. Guillaume caressait un projet qui lui était subitement venu à l’esprit. Onze heures allaient sonner, il songeait qu’ils n’arriveraient guère à Paris avant le jour. Ce long voyage de nuit com-