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demeurait l’épouse de Jacques, bien qu’elle n’éprouvât plus pour lui qu’une sorte de haine sourde. Les caresses de Guillaume, cinq années d’autres embrassements, n’avaient pu chasser de ses membres l’être qui y était entré, à l’heure de sa puberté. Elle se trouvait formée, rendue virile à jamais, et les baisers d’une foule auraient vainement essayé de faire disparaître les premiers baisers qu’elle avait reçus. Son mari ne possédait réellement que son cœur ; quand elle s’offrait à ses lèvres, elle ne pouvait plus se donner, elle se prêtait.

Elle s’était simplement prêtée depuis son mariage. Elle en avait une preuve vivante, irrécusable. La petite Lucie ressemblait à Jacques. Guillaume, même en ayant une fille de Madeleine, ne pouvait l’avoir à son image. Fécondé par lui, le sein de la jeune femme donnait à l’enfant les traits de l’homme dont il gardait l’empreinte. La paternité semblait sauter par-dessus le mari pour remonter à l’amant. À coup sûr le sang de Jacques entrait pour beaucoup dans la fécondation de Madeleine ; il restait le premier père, celui qui avait fait une épouse de la vierge.

La jeune femme sentit bien son servage, le jour où Guillaume lui offrit de l’épouser. Elle n’était pas libre, des répugnances instinctives révoltaient sa chair à la pensée d’un nouveau mariage dans lequel elle ne pouvait plus se livrer entière. Un refus net monta malgré elle à sa gorge. Ses tendresses s’étonnèrent de ce refus. N’aimait-elle pas Guillaume, ne vivait-elle pas avec lui depuis une année ? Elle ne voulut point écouter le cri de son être, la rébellion de son sang qui l’avertissait : s’il lui avait été permis de prendre un second amant, il lui était défendu de se lier pour toujours à un autre homme que Jacques. Et, pour ne pas avoir obéi à ce cri de son corps esclave, elle pleurait à cette heure des larmes de sang.

Il y avait là un phénomène si intime, si profond d’étrangeté et de terreur, que Madeleine écartait encore une pareille explication de ses révoltes. La certitude d’être possédée à jamais par un homme qu’elle n’aimait plus,