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contradictions de sa nature. Au fond de son être, vaguement, elle sentait s’agiter la vérité ; mais elle reculait devant le caractère étrange des sensations qu’elle éprouvait.

Lorsque Madeleine s’était oubliée dans les bras de Jacques, sa chair vierge avait pris l’empreinte ineffaçable du jeune homme. Il y eut alors mariage intime, indestructible. Elle se trouvait en pleine sève, à cet âge où l’organisme de la femme mûrit et se féconde au contact de l’homme ; son corps puissant, son tempérament mesuré se laissa pénétrer d’autant plus profondément qu’il était riche de sang et sain d’humeurs ; elle s’abandonna avec tout son calme, toute sa franchise, à cette transmission charnelle établie entre son amant et elle, si bien que sa nature froide devint ainsi une cause nouvelle qui rendit plus complète et plus durable la possession de son être entier. On eût dit que Jacques, en la serrant contre sa poitrine, la moulait à son image, lui donnait de ses muscles et de ses os, la faisait sienne pour la vie. Un hasard l’avait jetée à cet homme, un hasard la retenait dans son étreinte, et, pendant qu’elle était là, par aventure, toujours sur le point de devenir veuve, des fatalités physiologiques la liaient étroitement à lui, l’emplissaient de lui. Lorsque, après une année de ce travail secret du sang et des nerfs, le chirurgien s’éloigna, il laissa la jeune femme éternellement frappée à la marque de ses baisers, possédée à ce point qu’elle n’était plus seule maîtresse de son corps ; elle avait en elle un autre être, des éléments virils qui la complétaient et l’asseyaient dans sa force. C’était là un phénomène purement physique.

Aujourd’hui, le lien de tendresse était rompu, mais le lien de chair restait tout aussi profondément noué. Si son cœur n’aimait plus Jacques, son corps se souvenait fatalement, lui appartenait toujours. Le sentiment d’affection avait eu beau s’effacer, l’effet charnel de la possession n’en gardait pas moins sa force ; les traces de la liaison qui l’avait rendue femme, survivaient à son amour. Elle