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fauteuil pour arriver à son visage. La vue du groupe douloureux que formaient ses parents, l’effrayait un peu ; elle ne savait trop si elle devait rire ou éclater en sanglots. Elle demeura un instant inquiète, la face levée, contemplant son père d’un air de pitié attendrie. Puis elle lui tendit les mains.

— Prends-moi, lui dit-elle en donnant une inflexion caressante à ce mot, qui lui était familier.

Il la regardait toujours, se renversant en arrière, plus pâle et plus frissonnant. Comme elle ressemblait à Jacques, surtout lorsqu’elle faisait sa moue de petite fille grave ! Il sentait ses mains d’enfant lui brûler les genoux, il aurait voulu l’éloigner pour ne plus se torturer en étudiant chacun de ses traits. Mais Lucie avait un projet : elle désirait se pendre à son cou et le consoler. D’ailleurs elle commençait à avoir une peur véritable, elle n’aurait pas été fâchée de se réfugier dans ses bras. Quand elle lui eut répété à plusieurs reprises : « Prends-moi, prends-moi, » sans qu’elle le vît se pencher vers elle, elle se décida à grimper sur lui. Elle était déjà parvenue à se dresser sur les coudes, lorsque Guillaume, perdant la tête, la repoussa assez violemment.

Elle recula en chancelant et tomba sur son derrière. Le tapis amortit sa chute. Elle ne pleura pas tout de suite. Sa surprise fut telle qu’elle regarda simplement son père avec un étonnement effrayé. Elle pinçait les lèvres, elle fronçait les sourcils, comme l’ancien chirurgien.

Madeleine s’était élancée vers elle, en la voyant tomber. La tête de l’enfant avait passé à quelques lignes du guéridon où elle aurait pu se fracasser.

— Ah ! Guillaume, s’écria la jeune femme, tu es cruel… Je ne te savais pas méchant… Bats-moi, mais ne bats pas cette pauvre créature.

Elle prit Lucie sur sa poitrine. L’enfant éclata alors en sanglots comme si l’on venait de la rouer de coups. Elle ne s’était fait aucun mal, mais il suffisait qu’on la plaignît pour qu’elle crût devoir verser un torrent de larmes.