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possible, allant jusqu’au bout des suppositions infâmes qu’il faisait. Maintenant, le froid du matin le tirait de sa stupeur son esprit allégé se débarrassait de ses visions. Il était repris par la banalité ordinaire des faits. Il ne voyait plus Madeleine entre les bras de Jacques, il ne se torturait plus en évoquant le spectacle de cet étrange adultère qui unissait d’une étreinte chaude sa femme et son ami. Chaque détail se remettait à son plan, le drame perdait son actualité poignante. Il apercevait les amants d’une façon vague, dans un passé lointain, sans que sa chair eût des révoltes trop cuisantes. Dès lors, sa position lui parut acceptable ; il rentra dans le cours commun de l’existence, il se retrouva marié avec Madeleine, aimé d’elle, prêt à lutter pour la conserver toujours. Il souffrait bien encore du coup brutal qui venait de les affoler tous deux, mais la douleur première de ce coup s’apaisait elle-même. Tout son être refroidi s’amollissait, passait aisément sur les obstacles qui lui avaient d’abord semblé odieux et insurmontables.

C’est ainsi qu’il se remit à espérer. Il regarda avec des sourires tristes Madeleine, chez laquelle un travail presque semblable s’accomplissait. Il y avait en elle cependant une masse lourde qui l’étouffait et dont elle ne pouvait se débarrasser. Elle s’excitait à l’espérance, mais toujours elle se brisait contre cette masse. C’était comme un poids fatal qui devait rester dans sa poitrine jusqu’à ce qu’elle en mourût. Les sourires qu’elle rendait à Guillaume ressemblaient à ceux d’une moribonde sentant déjà sur sa face le froid de la mort et ne voulant désoler personne.

Ils restèrent une partie de la matinée devant le feu à causer tranquillement de choses et d’autres. Ils évitèrent de toucher à leurs blessures encore vives, remettant à plus tard le souci de prendre une décision. Pour l’instant, ils désiraient endormir simplement leurs souffrances. Au milieu de leur causerie, Guillaume eut une soudaine inspiration. La veille, la nourrice de Lucie était venue cher-