Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/173

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tes ; on eût dit qu’une bande de loups assiégeait le pavillon et le secouait tout entier de ses griffes furieuses. À chaque nouvelle bourrasque, le frêle logis semblait devoir être emporté. Puis des ondées crevaient, qui apaisaient pour un instant les clameurs du vent, et qui battaient sur le toit un roulement sourd et continu de tambours menant des funérailles. Les époux souffraient des éclats de l’ouragan ; chaque secousse, chaque lamentation les agitaient d’un malaise vague ; des inquiétudes subites les prenaient, ils prêtaient l’oreille comme si des voix humaines se fussent plaintes en bas, sur la route. Quand un souffle plus brusque faisait craquer toutes les boiseries de la maison, ils levaient la tête en sursaut, ils regardaient autour d’eux avec des surprises d’effroi. Était-ce bien là leur chère retraite si tiède, si parfumée ? Il leur semblait qu’on avait changé les meubles, changé les tentures, changé la demeure elle-même. Ils promenaient sur chaque chose des regards de défiance, ne reconnaissant rien. S’il leur venait un souvenir, ce souvenir les blessait ; ils songeaient qu’ils avaient goûté là des jouissances exquises, et la sensation lointaine de ces jouissances prenait une amertume écœurante. Guillaume disait autrefois, en parlant du pavillon : « Si quelque malheur nous frappe un jour, nous irons oublier dans cette solitude. Nous y serons forts contre la souffrance. » Et aujourd’hui, qu’un coup terrible les écrasait et qu’ils accouraient s’y réfugier, ils n’y trouvaient que le spectre lamentable de leurs amours, ils y restaient accablés sous le poids des heures présentes et sous le regret cuisant des années mortes.

Peu à peu, une prostration morne s’emparait de leur être. La course qu’ils venaient de faire dans la boue, sous le vent et sous la pluie, avait calmé leur fièvre, dégagé leur tête du flot de sang qui s’y était porté. Leurs cheveux trempés d’eau mettaient comme des glaçons sur leur front brûlant. Maintenant, la chaleur du feu alourdissait leurs membres, brisés de fatigue. À mesure que la flamme du