Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais secoué son corps vierge, et dont le tableau lui faisait songer aux joies cruelles des damnés. Elle se disait qu’ils devaient rire et pleurer ainsi, ceux que les flammes lèchent et caressent de leurs langues ardentes. Dans son horreur, il y avait une curiosité poignante, la curiosité d’une femme qui a vieilli au milieu de besognes grossières, sans connaître d’homme, et qui entend brusquement le récit d’une vie de passion. Peut-être même envia-t-elle un instant les plaisirs amers du péché, les brûlures infernales dont la poitrine de Madeleine se trouvait déchirée. Elle ne s’était pas trompée : cette créature venait de Satan, le ciel l’avait mise sur la terre pour la damnation des hommes. Elle la regardait se tordre et s’écheveler, comme elle eût regardé les tronçons d’un serpent remuer dans la poussière : les larmes qu’elle répandait lui paraissaient être les larmes de rage d’un démon qui se voit démasqué ; ses cheveux roux dénoués, son cou gras et blanc gonflé de soupirs, tous ses membres vautrés à terre lui semblaient fumer d’une odeur charnelle et nauséabonde. Elle retrouva Lubrica, le monstre aux seins larges, aux bras tentateurs, l’infâme courtisane cachant un tas de boue infecte sous le satin de sa peau nacrée et voluptueuse.

Quand Madeleine s’avança vers la porte, elle fit un pas en arrière pour éviter son contact.

— Lubrica, Lubrica, murmurait-elle entre ses dents… L’enfer t’a vomie, et tu tentes le saint en découvrant ton impure nudité. Ta chevelure rouge, tes lèvres rouges brûlent encore du feu éternel. Tu as blanchi ton corps et tes dents dans les brasiers du gouffre. Tu t’es engraissée du sang de tes victimes. Tu es belle, tu es forte, tu es impudique parce que tu te nourris de chair… Mais un souffle de Dieu te fera tomber en poussière, Lubrica, fille maudite, et tu pourriras comme une chienne crevée sur le bord d’un chemin…

Les époux ne purent saisir que quelques-unes de ces paroles qu’elle mâchonnait fiévreusement, comme une