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Va, le ciel ne fait que de ces miracles-là. Il se serait bien gardé de tuer Jacques tout à fait. Il avait besoin de ce revenant pour me châtier… Quelle faute avons-nous donc commise ? Nous nous sommes aimés, nous avons été heureux. C’est de notre félicité que nous sommes punis. Dieu ne veut pas que sa créature vive paisible. Cela me soulagerait de blasphémer… Geneviève a raison… Le passé, la faute ne meurt pas.

— Malheureuse ! malheureuse ! répétait Guillaume.

— Rappelle-toi, je ne voulais pas accepter le mariage que tu m’offrais. Lorsque tu m’as suppliée de m’unir à toi, tu te souviens, ce triste soir d’automne, au bord de la source que les pluies avaient rendue fangeuse, une voix me criait de ne pas compter sur la clémence du ciel. Je te disais : Restons comme nous sommes ; nous nous aimons, cela suffit, nous nous aimerions peut-être moins si nous étions mariés. Et toi tu insistais, disant que tu désirais me posséder tout entière, ouvertement ; tu me parlais d’une vie de paix, tu prononçais les mots d’estime, de tendresse éternelle, de foyer commun. Ah ! que ne me suis-je montrée impitoyable, que n’ai-je écouté la terreur secrète qui m’avertissait ! Tu m’aurais accusée alors de ne point t’aimer, mais aujourd’hui je fuirais devant Jacques, je disparaîtrais de ton existence, sans salir tes affections d’enfant, sans t’entraîner avec moi dans la boue. Je pensais qu’en restant ta maîtresse, si jamais je devenais infâme à tes yeux, si jamais nous nous rencontrions face à face avec ma honte, tu pourrais me chasser comme une fille et employer ton dégoût à m’oublier. Je serais encore une créature perdue qui passe d’un lit dans un autre, et que ses amants jettent à la porte, à la première rougeur que son ignominie leur fait monter au front. Et voilà que nous avons une petite fille… Oh ! pardonne, mon ami. J’ai été bien lâche de te céder.

— Malheureuse ! Malheureuse ! répétait toujours Guillaume.

— Oh ! oui, j’ai été lâche, mais il faut tout comprendre.