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MADELEINE FÉRAT

Guillaume se tourna vers sa compagne et lui dit avec un sourire :

— Je vous ai prévenue, je ne connais pas du tout le pays, et je ne sais trop où nous allons.

— Prenons ce sentier, répondit simplement Madeleine, il nous évitera de traverser les rues de Sceaux.

Ils prirent la ruelle des Champs-Girard. Là, brusquement, le rideau d’arbres de la grande allée s’ouvre et laisse voir le coteau de Fontenay ; en bas, il y a des jardins, des carrés de prairie dans lesquels se dressent, droits et vigoureux, d’énormes bouquets de peupliers ; puis des cultures montent, coupant les terrains en bandes brunes et vertes, et, tout en haut, au bord de l’horizon, blanchissent, à travers les feuilles, les maisons basses du village. Vers la fin septembre, entre quatre et cinq heures, le soleil, en s’inclinant rend adorable ce bout de nature. Les jeunes gens, seuls dans le sentier, s’arrêtèrent instinctivement devant ce coin de terre d’une verdure presque noire, à peine dorée par les premières rousseurs de l’automne.

Ils se donnaient toujours le bras. Il y avait entre eux cette vague gêne d’une intimité récente qui a marché trop vite. Lorsqu’ils venaient à songer qu’ils se connaissaient depuis huit jours au plus, ils éprouvaient une sorte de malaise à se trouver ainsi seul à seul, en pleins champs, comme des amants heureux. Se sentant encore étrangers et forcés de se traiter en camarades, ils osaient à peine se regarder ; ils ne se parlaient qu’en hésitant, par crainte de se blesser sans le vouloir. Ils étaient l’inconnu l’un pour l’autre, l’inconnu qui effraie et qui attire. Dans leurs allures lentes d’amoureux, dans leurs paroles vides et douces, même dans les sourires qu’ils échangeaient dès que leurs yeux se rencontraient, on lisait l’inquiétude et l’embarras de deux êtres qu’un hasard marie brutalement. Jamais Guillaume n’aurait cru souffrir autant de sa première aventure, et il en attendait le dénouement avec une véritable angoisse.