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femme folle. Guillaume, surpris de la retrouver là, fut effrayé de son désordre. Il courut à elle.

— Qu’as-tu, Madeleine ? lui demanda-t-il ; tu ne t’es pas couchée ?

Elle répondit d’une voix sourde, en montrant la porte du salon :

— Non, j’étais là.

Elle fit un pas vers son mari, lui posa les mains sur les épaules, et, le regardant de ses yeux froids :

— Jacques est ton ami ? demanda-t-elle d’un ton bref.

— Oui, répondit Guillaume étonné, tu le sais bien, je t’ai dit quel lien puissant nous attachait l’un à l’autre… Jacques est mon frère, et je désire que tu l’aimes comme une sœur.

À ce mot de sœur, elle eut un étrange sourire. Elle ferma les yeux un instant ; puis levant les paupières, plus pâle et plus résolue :

— Tu rêves de lui faire partager notre vie, reprit-elle, tu voudrais qu’il vînt habiter avec nous pour l’avoir toujours à ton côté ?

— Certes, dit le jeune homme, c’est là mon plus cher désir… Je serais si heureux avec toi et lui, je m’appuierais sur vous, je vivrais entre les seuls êtres qui m’aiment au monde… Dans notre jeunesse, nous avions juré, Jacques et moi, d’avoir tout en commun.

— Ah ! vous aviez fait ce serment, murmura Madeleine, frappée au cœur par la phrase innocente de son mari.

Jamais l’idée de partage entre Jacques et Guillaume ne l’avait tant écœurée. Elle dut garder le silence ; sa gorge se séchait, elle n’aurait plus trouvé que des cris pour confesser la vérité. À ce moment, Geneviève entra dans la pièce, sans que les époux fissent attention à elle ; elle vit leur trouble, elle se tint droite au fond de l’ombre ; ses yeux ardents luisaient, ses lèvres remuaient silencieusement, comme si elle eût prononcé à voix basse des paroles de conjuration.

Pendant toute la confession de Madeleine, elle resta