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— Je vais me retirer, dit-elle d’une voix un peu plus ferme. Ton ami nous retiendrait longtemps à causer, et j’ai vraiment besoin de sommeil. Ma tête éclate… Tu me le présenteras demain.

Guillaume, qui se faisait une fête de mettre face à face les deux seules affections de sa vie, fut contrarié du malaise subit de sa femme. Depuis Mantes, il avait fouetté rudement son cheval ; la pauvre bête s’était même luxé une jambe en glissant dans une ornière. Il éprouvait une envie d’enfant d’être à la Noiraude ; il aurait voulu pousser déjà la porte de la salle à manger, s’imaginant avec des attendrissements de joie, la scène émue qui s’y passerait. Un instant, il eut la fantaisie puérile de jouer une petite comédie ; il présenterait Jacques comme un étranger et jouirait de l’étonnement de Madeleine, quand elle apprendrait le nom de l’inconnu. C’est qu’il était en réalité fou de contentement ; son cœur allait être plein désormais, plein d’un amour et d’une amitié qui feraient de son existence un long bonheur. Il se voyait unissant les mains de Madeleine et de Jacques, disant à l’une et disant à l’autre : « Voici ton frère, voici ta sœur ; aimez-vous, aimons-nous tous les trois jusqu’au dernier souffle. » Ses tendresses nerveuses se plaisaient dans ce rêve.

Il insista pour retenir sa femme. Il lui était dur de remettre au lendemain les jouissances de cœur qu’il se promettait depuis Mantes. Mais Madeleine paraissait si souffrante, qu’il la laissa se retirer. Elle allait sortir par la porte qui donnait sur le vestibule, lorsqu’elle crut entendre un bruit de pas. Elle se rejeta en arrière, d’un mouvement brusque et effaré, comme si elle eût voulu échapper à une agression subite ; puis elle se hâta de disparaître par une porte qui conduisait au salon. Elle avait à peine refermé cette porte, que Jacques entra.

— Ton cheval est fort mal arrangé, dit-il à Guillaume. Je suis un peu vétérinaire, je crois la bête perdue.

Il disait cela simplement pour parler, regardant, cher-