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entourait la jeune femme, ce grand silence d’une nuit d’hiver, cette lumière voilée qui traînait autour d’elle, lui paraissait cacher un malheur insondable.

Geneviève était allée à la fenêtre.

— Voici Guillaume, dit-elle en revenant au milieu de la pièce.

Une clarté rouge avait couru sur les vitres, le bruit d’une voiture s’arrêtant devant le perron, s’était fait entendre. Madeleine, qui attendait son mari avec impatience quelques minutes auparavant, resta assise au lieu de courir à sa rencontre, regardant la porte avec une étrange anxiété. Son cœur battait douloureusement sans qu’elle pût dire pourquoi.

Guillaume entra vivement. Il avait l’air fou, mais d’une folie de joie. Il jeta son chapeau au loin, sur un meuble, et s’essuya le front, bien qu’il fît grand froid au dehors. Il allait, il venait ; enfin, il s’arrêta devant Madeleine ; dès qu’il eut retrouvé la voix :

— Devine qui j’ai retrouvé à Mantes ? lui demanda-t-il avec une terrible envie de lui dire tout de suite son secret.

La jeune femme, toujours assise, ne répondit pas. Le bonheur bruyant de son mari la surprenait, l’effrayait presque.

— Voyons, répéta-t-il, devine… cherche… Je te le donne en mille.

— Mais je ne sais, dit-elle enfin, nous n’avons pas d’ami dont la rencontre puisse te rendre si joyeux.

— C’est ce qui te trompe, j’ai rencontré un ami, le seul, le meilleur…

— Un ami, reprit-elle, vaguement épouvantée.

Guillaume ne put garder sa bonne nouvelle plus longtemps. Il prit les mains de sa femme, et, brusquement :

— J’ai retrouvé Jacques, s’écria-t-il avec une explosion de triomphe.

Madeleine ne poussa pas un cri, ne fit pas un geste. Elle devint affreusement pâle.