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sie, la tournant, la dodelinant, selon ses besoins d’attaque ou de défense. Elle luttait âprement contre l’âge qui l’engraissait et la ridait ; frottée d’onguents et d’huiles de toilette, sanglée dans des corsets qui l’étouffaient, elle s’imaginait rajeunir. Ce n’était encore là que des ridicules ; mais la chère dame avait des vices. Elle considérait son mari comme un bonhomme de bois avec lequel elle s’était mariée pour se poser dans le monde. Elle se croyait très excusable de ne l’avoir jamais aimé. « Allez donc parler d’amour à un homme qui ne vous entend pas ! » disait-elle parfois à ses intimes. Et elle prenait alors des airs de femme malheureuse et incomprise. La vérité était qu’elle se consolait largement. Ne voulant pas perdre les phrases amoureuses qu’elle ne pouvait réciter à M. de Rieu, elle les portait à des gens qui avaient de bonnes oreilles. Elle choisissait toujours des amants d’un âge tendre et délicat, dix-huit à vingt ans au plus. Il fallait à ses goûts de petite fille des jouvenceaux aux joues roses, sentant encore le lait de leur nourrice. Si elle eût osé, elle aurait débauché les collégiens qu’elle rencontrait, car il entrait dans sa passion pour les enfants un appétit de voluptés honteuses, un besoin d’enseigner le vice et de goûter d’étranges plaisirs dans les molles étreintes de bras faibles encore. Elle était douillette ; elle aimait les baisers timides qui chatouillent sans appuyer. Aussi la trouvait-on toujours en compagnie de cinq ou six adolescents ; elle en cachait sous son lit, dans ses armoires, partout où elle pouvait en placer. Son bonheur consistait à avoir une demi-douzaine d’amants dociles attachés à ses jupes. Elle les mettait vite sur les dents, en changeait tous les quinze jours, vivait dans un perpétuel renouvellement d’amoureux. On eût dit une maîtresse de pension traînant avec elle ses élèves. Jamais elle ne manquait d’adorateurs, en prenait n’importe où, parmi cette foule de jeunes imbéciles dont le rêve est d’avoir pour maîtresse une femme âgée et mariée. Ses quarante ans, ses airs ridicules de fillette, sa graisse blanche et fade qui faisaient reculer les