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— Pourquoi ne pas rester comme nous sommes, dit-elle. Je ne me plains pas, je suis heureuse… Nous ne nous aimerions pas davantage si nous étions mariés… Peut-être même dérangerions-nous notre bonheur.

Et, comme il ouvrait la bouche pour insister, elle ajouta d’une voix brève :

— Non, vraiment. Cela me fait peur.

Elle se prit à rire, afin d’atténuer la dureté et l’étrangeté de ses paroles. Elle-même restait étonnée de les avoir prononcées et d’y avoir mis un tel accent. La vérité était que la proposition de Guillaume lui causait une singulière révolte ; il lui semblait qu’il sollicitait quelque chose d’impossible, comme si elle ne se fût pas appartenue et qu’elle se fût déjà trouvée en la possession d’un autre homme. Elle avait eu la voix et le geste d’une femme mariée auquel un amant demanderait de vivre maritalement avec lui.

Le jeune homme, presque blessé, aurait peut-être retiré son offre, s’il ne s’était cru maintenant obligé de plaider la cause de leurs amours. Il s’échauffa en parlant, il oublia peu à peu le serrement de cœur qu’il avait éprouvé au refus net de sa maîtresse, il se répandit en paroles douces et caressantes, faisant le tableau de la belle vie calme qu’ils mèneraient, quand ils seraient mariés. Pendant longtemps, il laissa ainsi couler son cœur de ses lèvres, demi-courbé, dans une attitude de prière et d’adoration.

— Je suis orphelin, disait-il, je n’ai au monde que toi. Ne me refuse pas d’engager ta vie à la mienne, sinon je croirai que le ciel continue à me poursuivre de sa colère, je me dirai que tu ne m’aimes pas assez pour vouloir assurer ma félicité. Si tu savais combien j’ai besoin de ton affection ! Toi seule m’as calmé, toi seule m’as ouvert un refuge dans tes bras. Et aujourd’hui je ne sais comment te remercier, je t’offre tout ce que j’ai, rien en comparaison des bonnes heures que tu m’as données et que tu me donneras encore. Va, je le sens bien, je resterai toujours