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une sensation vague de sommeil et d’éternité qui plaisaient à leurs amours heureuses. Peu à peu, ils cessaient de parler, gagnés par la monotonie de la chanson continue des gouttes d’eau, croyant entendre les battements de leur cœur, rêvant et souriant, la main dans la main.

La jeune femme apportait toujours quelques fruits. Elle sortait de son rêve, et mangeait ses provisions à belles dents, faisant mordre son amant dans ses pêches et ses poires. Guillaume s’émerveillait à la voir devant lui ; chaque jour, elle lui semblait d’une beauté plus éclatante ; il suivait, avec des surprises d’admiration, l’épanouissement de santé et de force que l’air libre amenait en elle. La campagne en faisait véritablement une autre femme. Elle paraissait avoir grandi encore. Saine, vigoureuse, les membres solides, elle était devenue une puissante fille, à la poitrine large, au rire clair. Sa peau, légèrement brunie, avait gardé sa transparence. Ses cheveux roux, à peine noués, tombaient sur sa nuque en un seul flot épais et ardent. Tout son être prenait des attitudes d’une vigueur superbe.

Guillaume ne pouvait se lasser de regarder cette créature bien portante dont les baisers, calmes et forts, apaisaient ses propres fièvres. Il sentait qu’une sérénité suprême se faisait en elle ; elle avait retrouvé ses volontés, elle vivait sans secousse, obéissant à la simplicité native de son être ; ce milieu de solitude et de grand soleil lui convenait, elle s’y épanouissait dans sa grâce et dans sa puissance, se montrait telle que la satisfaction de ses besoins d’estime et de paix l’aurait toujours faite. Pendant les longues heures qu’ils passaient à la Source, nom dont ils avaient baptisé leur retraite, le jeune homme contemplait Madeleine, allongée sur l’herbe, la nuque rougie par le reflet de ses cheveux ; il suivait, sous la robe légère, les lignes fermes de ses membres, et, par moments, il se soulevait pour la prendre dans une étreinte, à bras-le-corps, avec un soudain orgueil de possession. Rien de sale d’ailleurs ; c’étaient de saines et paisibles amours.