Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

taire universel. Le comte avait dû attendre la majorité de son fils pour pouvoir l’adopter et lui transmettre son nom ; l’adoption entraînant la nécessité de léguer, il lui avait été permis de traiter l’enfant naturel en enfant légitime. Le juge de paix se confondit en excuses ; il répéta que la loi était la loi, et se retira, en donnant, avec force saluts, le nom de M. de Viargue à celui qu’il nommait légèrement M. Guillaume quelques minutes auparavant, bien qu’il ne pût ignorer le droit qu’il avait de porter le titre de son père adoptif.

Les jours qui suivirent, Guillaume fut accablé d’occupations. On ne lui laissa pas une heure pour songer à sa position nouvelle. De tous côtés, on le tracassa de condoléances, de requêtes, d’offres de service. Il finit par s’enfermer dans sa chambre, après avoir prié Geneviève de répondre à la foule qui l’importunait. Il se déchargea entièrement sur elle du soin de ses affaires. Le comte, dans son testament, avait laissé à la vieille femme une rente qui lui eût permis d’achever paisiblement sa vie. Mais elle s’était presque fâchée, refusant l’argent, disant qu’elle mourrait debout et qu’elle entendait ne pas abandonner sa besogne. Au fond, le jeune homme fut très satisfait de trouver quelqu’un qui lui évitât les soucis matériels de la vie. Son esprit lent et faible détestait l’activité ; les plus petites misères de l’existence devenaient pour lui des obstacles gros de colère et de dégoût.

Quand il put enfin rentrer dans sa solitude, il fut pris d’une grande tristesse. La fièvre ne le soutenait plus, il se sentit écrasé par un morne accablement. Il avait pu oublier pendant quelques jours le suicide de son père ; il y songea de nouveau ; il revit, dans ses pensées de chaque heure, le laboratoire dévasté, taché de sang, et le souvenir implacable de cette pièce sinistre amena avec lui, un à un, les souvenirs cruels de sa vie. Ce drame récent lui paraissait se rattacher fatalement à la longue série de maux qui l’avaient déjà torturé. Il se rappelait avec angoisse le hasard de sa naissance, sa jeunesse fiévreuse