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s’enrageant ; ou bien il s’endormait sur un canapé d’un sommeil de plomb, dont il ne se réveillait que le soir, avec des migraines atroces. Adèle, ces jours-là, le regardait en silence. Elle marchait sur la pointe des pieds, pour ne pas l’énerver et ne pas effaroucher l’inspiration, qui allait venir sans doute ; car elle croyait à l’inspiration, à une flamme invisible qui entrait par la fenêtre ouverte et se posait sur le front de l’artiste élu. Puis, des découragements la lassaient elle-même, elle était prise d’une inquiétude, à la pensée encore vague que Ferdinand pouvait faire banqueroute, en associé infidèle.

On était en février, l’époque du Salon approchait. Et Le Lac ne s’achevait pas. Le gros travail était fait, la toile se trouvait entièrement couverte ; seulement, à part certaines parties très avancées, le reste restait brouillé et incomplet. On ne pouvait envoyer la toile ainsi, à l’état d’ébauche. Il y manquait cet ordre dernier, ces lumières, ce fini qui décident d’une œuvre ; et Ferdinand n’avançait plus, il se perdait dans les détails, détruisait le soir ce qu’il avait fait le matin, tournant sur lui-même, se dévorant dans son impuissance. Un soir, à la tombée du crépuscule, comme Adèle rentrait d’une course lointaine, elle entendit, dans l’atelier plein d’ombre, un bruit de sanglots. Devant sa toile, affaissé sur une chaise, elle aperçut son mari immobile.