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Elle avait mis tout son orgueil dans son beau Ferdinand. Chez cette fille silencieuse, qui avait comme moisi pendant vingt-deux ans dans l’ombre humide de la province, chez cette bourgeoise froide et jaunie, une passion de cœur et de tête avait éclaté, avec une violence extraordinaire. Elle aimait Ferdinand pour la couleur d’or de sa barbe, pour sa peau rose, pour le charme et la grâce de toute sa personne ; et cela au point d’être jalouse, de souffrir de ses plus courtes absences, de le surveiller continuellement, avec la peur qu’une autre femme ne le lui volât. Lorsqu’elle se regardait dans une glace, elle avait bien conscience de son infériorité, de sa taille épaisse et de son visage déjà plombé. Ce n’était pas elle, c’était lui qui avait apporté la beauté dans le ménage ; et elle lui devait même ce qu’elle aurait dû avoir. Son cœur se fondait à cette pensée que tout venait de lui. Puis, sa tête travaillait, elle l’admirait comme un maître. Alors, une reconnaissance infinie l’emplissait, elle se mettait de moitié dans son talent, dans ses victoires, dans cette célébrité qui allait la hausser elle-même au milieu d’une apothéose. Tout ce qu’elle avait rêvé se réalisait, non plus par elle-même, mais par un autre elle-même, qu’elle aimait à la fois en disciple, en mère et en épouse. Au fond, dans son orgueil, Ferdinand serait son œuvre, et il n’y avait qu’elle là-dedans, après tout.

Ce fut pendant ces premiers mois qu’un enchantement