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par accepter à dîner et regardait les aquarelles de la petite Adèle, qu’il déclarait un peu pâlottes, mais d’une fraîcheur de rose.

« Autant ça que de la tapisserie, disait-il en lui pinçant l’oreille. Et ce n’est pas bête, il y a là-dedans une petite sécheresse, une obstination qui arrive au style… Hein ! travaille, et ne te retiens pas, fais ce que tu sens. »

Certes, le père Morand ne vivait pas de son commerce. C’était chez lui une manie ancienne, un coin d’art qui n’avait pas abouti, et qui perçait aujourd’hui chez sa fille. La maison lui appartenait, des héritages successifs l’avaient enrichi, on lui donnait de six à huit mille francs de rente. Mais il n’en tenait pas moins sa boutique de couleurs, dans son petit salon du rez-de-chaussée, dont la fenêtre servait de vitrine : un étroit étalage, où il y avait des tubes, des bâtons d’encre de Chine, des pinceaux, et où de temps à autre paraissaient des aquarelles d’Adèle, entre des petits tableaux de sainteté, œuvres du Polonais. Des journées se passaient, sans qu’on vît un acheteur. Le père Morand vivait quand même heureux, dans l’odeur de l’essence, et lorsque Mme Morand, une vieille femme languissante, presque toujours couchée, lui conseillait de se débarrasser du « magasin », il s’emportait, en homme qui a la vague conscience de remplir une mission. Bourgeois et réactionnaire, au fond, d’une