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encore, debout au milieu des ruines du passé croulant de toutes parts. Eux aussi avaient compté deux papes, ce qui n’empêchait pas le prince Matteo de s’être rallié au Quirinal, sans toutefois se fâcher avec le Vatican. Fils lui-même d’une Américaine, n’ayant plus dans les veines le pur sang romain, il était d’une politique plus souple, fort avare, disait-on, luttant pour garder un des derniers la richesse et la toute-puissance de jadis, qu’il sentait condamnée à l’inévitable mort. Et c’était dans cette famille, d’orgueil superbe, dont l’éclat continuait à emplir la ville, qu’une aventure venait d’éclater, soulevant des commérages sans fin : l’amour brusque de Celia pour un jeune lieutenant, à qui elle n’avait jamais parlé ; l’entente passionnée des deux amants qui se voyaient chaque jour au Corso, n’ayant pour tout se dire que l’échange d’un regard ; la volonté tenace de la jeune fille qui, après avoir déclaré à son père qu’elle n’aurait pas d’autre mari, attendait inébranlable, certaine qu’on lui donnerait l’homme de son choix. Le pis était que ce lieutenant, Attilio Sacco, se trouvait être le fils du défaite Sacco, un parvenu, que le monde noir méprisait, comme vendu au Quirinal, capable des plus laides besognes.

— C’est pour moi que Morano a parlé tout à l’heure, murmurait Celia à l’oreille de Benedetta. Oui, oui, quand il a maltraité le père d’Attilio, à propos de ce ministère dont on s’occupe… Il a voulu m’infliger une leçon.

Toutes deux s’étaient juré une éternelle tendresse, dès le Sacré-Cœur, et Benedetta, son aînée de cinq ans, se montrait maternelle.

— Alors, tu n’es pas plus raisonnable, tu penses toujours à ce jeune homme ?

— Oh ! chère, vas-tu me faire de la peine, toi aussi !… Attilio me plaît, et je le veux. Lui, entends-tu ! et pas un autre. Je le veux je l’aurai, parce qu’il m’aime et que je l’aime… C’est tout simple.

Pierre, saisi, la regarda. Elle était un lis candide et