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— Enfin, je me suis sauvé, et je vous réponds que je n’y retournerai pas.

Il y eut un hochement de tête général, dans le silence froid et gêné qui s’était fait. Morano conclut en une phrase amère, où il accusait les spoliateurs, les hommes du Quirinal, d’être l’unique cause de toute la misère de Rome. Est-ce qu’on ne parlait pas de faire un ministre du député Sacco, cet intrigant compromis dans toutes sortes d’aventures louches ? Ce serait le comble de l’impudence, la banqueroute infaillible et prochaine.

Et seule Benedetta, dont le regard s’était fixé sur Pierre, en songeant à son livre, murmura :

— Les pauvres gens ! c’est bien triste, mais pourquoi donc ne pas retourner les voir ?

Pierre, dépaysé et distrait d’abord, venait d’être profondément remué par le récit de Dario. Il revivait son apostolat au milieu des misères de Paris, il s’attendrissait pitoyablement, en retombant, dès son arrivée à Rome, sur des souffrances pareilles. Sans le vouloir, il haussa la voix, il dit très haut :

— Oh ! madame, nous irons les voir ensemble, vous m’emmènerez. Ces questions me passionnent tant !

L’attention de tous fut ainsi ramenée sur lui. On se mit à le questionner, il les sentit inquiets de son impression première, de ce qu’il pensait de leur ville et d’eux-mêmes. Surtout on lui recommandait de ne pas juger Rome sur les apparences. Enfin, quel effet lui avait-elle produit ? Comment l’avait-il vue, comment la jugeait-il ? Et lui, poliment, s’excusait de ne pouvoir répondre, n’ayant rien vu, n’étant pas même sorti. Mais on ne l’en pressa que plus vivement, il eut la sensation nette d’un travail sur lui, d’un effort pour l’amener à l’admiration et à l’amour. On le conseillait, on l’adjurait de ne pas céder à des désillusions fatales, de persister, d’attendre que Rome lui révélât son âme.

— Monsieur l’abbé, combien de temps comptez-vous