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lourd guéridon Empire tombé on ne savait d’où, des choses hétéroclites venues de quelque bazar, des photographies affreuses, traînant sur les marbres précieux des consoles. Il n’y avait là aucun objet d’art intéressant. Aux murs, d’anciens tableaux médiocres ; excepté un primitif inconnu et délicieux, une Visitation du quatorzième siècle, la Vierge toute petite, d’une délicatesse pure d’enfant de dix ans, tandis que l’Ange, immense, superbe, l’inondait du flot d’amour éclatant et surhumain ; et, en face, un antique portrait de famille, celui d’une jeune fille très belle, coiffée d’un turban, que l’on croyait être le portrait de Cassia Boccanera, l’amoureuse et la justicière, qui s’était jetée au Tibre avec son frère, Ercole, et le cadavre de son amant, Flavio Corradini. Quatre lampes éclairaient, d’une grande lueur calme, la pièce fanée, comme jaunie d’un mélancolique coucher de soleil, grave, vide et nue, sans un bouquet de fleurs.

Tout de suite, donna Serafina présenta Pierre d’un mot, et dans le silence, dans l’arrêt brusque des conversations, il sentit les regards qui se fixaient sur lui, comme sur une curiosité promise et attendue. Il y avait là une dizaine de personnes au plus, parmi lesquelles Dario, debout, causant avec la petite princesse Celia Buongiovanni, amenée par une vieille parente, qui entretenait à demi-voix un prélat, monsignor Nani, tous deux assis dans un coin d’ombre. Mais Pierre venait surtout d’être frappé par le nom de l’avocat consistorial Morano, dont le vicomte, en l’envoyant à Rome, avait cru devoir lui expliquer la situation particulière dans la maison, afin de lui éviter des fautes. Depuis trente ans, Morano était l’ami de donna Serafina. Cette liaison, autrefois coupable, car l’avocat avait femme et enfants, était devenue, après son veuvage, et surtout avec le temps, une liaison excusée, acceptée par tous, une sorte de ces vieux ménages naturels que la tolérance mondaine consacre. Tous les deux, très dévots, s’étaient certainement assuré les indulgences