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pussent s’entendre sur la proie qu’ils s’arrachaient par lambeaux. Enfin, le grand muet, las de vexations et de misère, voulut parler, secoua le joug du pape, aux temps de la Réforme, commença plus tard de renverser les rois, dans sa furieuse explosion de 89. Et l’extraordinaire aventure de la papauté était partie de là, comme Pierre l’avait écrit dans son livre, une fortune nouvelle qui permettait au pape de reprendre le rêve séculaire, le pape se désintéressant des trônes abattus, se remettant avec les misérables, espérant bien cette fois conquérir le peuple, l’avoir enfin tout à lui. N’était-ce pas prodigieux, ce Léon XIII dépouillé de son royaume, qui se laissait dire socialiste, qui rassemblait sous lui le troupeau des déshérités, qui marchait contre les rois, à la tête du quatrième État, auquel appartiendra le siècle prochain ? L’éternelle lutte continuait aussi âpre pour cette possession du peuple, à Rome même, et dans l’espace le plus resserré, le Vatican en face du Quirinal, le pape et le roi pouvant se voir de leurs fenêtres, toujours se battant à qui aurait l’empire, ayant sous leurs yeux les toits roux de la vieille ville, cette menue population qu’ils en étaient encore à se disputer, comme le faucon et l’épervier se disputent les petits oiseaux des bois. Et c’était ici, pour Pierre, que le catholicisme se trouvait condamné, voué à une ruine fatale, parce que justement il était d’essence monarchique, à ce point que la papauté apostolique et romaine ne pouvait renoncer au pouvoir temporel, sous peine d’être autre chose et de disparaître. Vainement elle feignait un retour au peuple, vainement elle apparaissait tout âme, il n’y avait pas de place, au milieu de nos démocraties, pour la souveraineté totale et universelle qu’elle tenait de Dieu. Toujours il voyait l’imperator repousser dans le pontife, et c’était là surtout ce qui avait tué son rêve, détruit son livre, amassé le tas de décombres, devant lequel il restait éperdu, sans force ni courage.