Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/729

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Quoi donc ? quoi donc ? mais c’est très bien, mais c’est très beau, ça !

— N’est-ce pas ? dit Pierre. Je ne m’y connais point, je n’en ai pas moins été remué dès le premier jour, et que de fois j’ai été retenu là, le cœur battant et gonflé de choses indicibles !

Narcisse ne parlait plus, examinait de près la peinture, avec le soin d’un connaisseur, d’un expert dont le coup d’œil tranchant décide de l’authenticité, fixe la valeur marchande. La plus extraordinaire des joies se peignit sur sa face blonde et pâmée, tandis que ses doigts étaient pris d’un petit tremblement.

— C’est un Botticelli ! C’est un Botticelli ! Il n’y a pas un doute à avoir… Voyez les mains, voyez les plis de la draperie. Et ce ton de la chevelure, et ce faire, cet envolement de toute la composition… Un Botticelli, ah ! mon Dieu, un Botticelli !

Il défaillait, il était débordé par une admiration croissante, à mesure qu’il pénétrait dans ce sujet si simple et si poignant. Est-ce que cela n’était pas d’un modernisme aigu ? L’artiste avait prévu tout notre siècle douloureux, nos inquiétudes devant l’invisible, notre détresse de ne pouvoir franchir la porte du mystère, à jamais close. Et quel symbole éternel de la misère du monde, cette femme dont on ne voyait pas le visage et qui sanglotait éperdument, sans qu’on pût essuyer ses larmes ! Un Botticelli inconnu, un Botticelli de cette qualité absent de tous les catalogues, quelle trouvaille !

Il s’interrompit pour demander :

— Vous saviez que c’était un Botticelli ?

— Ma foi, non ! J’ai interrogé un jour don Vigilio, mais il a paru faire peu de cas de cette peinture. Et Victorine, à qui j’en ai parlé également, m’a répondu que toutes ces vieilleries, ce n’étaient que des nids à poussière.

Stupéfait, Narcisse se récria.