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servir son souper sur la petite table de sa chambre, à huit heures, comme d’habitude. Elle lui apporta elle-même une lampe, elle parla de ranger son linge. Mais il ne voulut absolument pas qu’elle l’aidât, et elle dut le laisser faire tranquillement sa malle.

Il avait acheté une petite caisse, car sa valise ne pouvait suffire pour emporter le linge et les vêtements qu’il s’était fait envoyer de Paris à mesure que son séjour se prolongeait. La besogne ne fut pourtant pas longue, l’armoire vidée, les tiroirs visités, la petite caisse et la valise emplies, fermées à clé. Il n’était que sept heures, il avait à attendre une heure, avant le souper, lorsque ses regards, en faisant le tour des murs, pour être certain de ne rien oublier, tombèrent sur le tableau ancien, cette peinture d’un maître ignoré qui l’avait si souvent ému, pendant son séjour. Justement, la lampe l’éclairait en plein, d’une lumière évocatrice ; et, cette fois encore, il reçut un coup au cœur, d’autant plus profond, qu’il s’imagina voir, à cette heure dernière, tout un symbole de son échec à Rome, dans cette dolente et tragique figure de femme, demi-nue, drapée en un lambeau, assise au seuil du palais dont on l’avait chassée, pleurant entre ses mains jointes. Cette rejetée, cette obstinée d’amour, qui sanglotait ainsi, dont on ne savait rien, ni quel était son visage, ni d’où elle venait, ni ce qu’elle avait fait, n’offrait-elle pas l’image de tout l’effort inutile pour forcer la porte de la vérité, de tout l’abandon affreux où l’homme tombe, dès qu’il se heurte au mur qui barre l’inconnu ? Longuement il la regarda, repris du tourment de s’en aller ainsi, avant d’avoir connu sa face, noyée de ses cheveux d’or, cette face de douloureuse beauté, qu’il rêvait rayonnante de jeunesse, si délicieuse dans son mystère. Et il croyait la connaître, il était sur le point de la posséder enfin, lorsqu’on frappa à la porte.

Il eut la surprise de voir entrer Narcisse Habert, parti depuis trois jours à Florence, une de ces fugues où se