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les ordures. Et Pierre comprenait la prodigieuse vanité de ces gens hantés par la grandeur des aïeux, hypnotisés devant le passé de leur Rome, déclarant qu’elle renferme tout, qu’eux-mêmes ne parviennent pas à la connaître, qu’elle est le sphinx chargé de dire un jour le mot de l’univers, si grande et si noble que tout y grandit et s’y anoblit, qu’ils en arrivent à exiger pour elle le respect idolâtre de la terre entière, dans cette vivace illusion de la légende où elle demeure, cette inextricable confusion de ce qui a pu être grand et de ce qui ne l’est plus.

— Mais je la connais, ta quatrième Rome, reprit Orlando, qui s’égayait de nouveau. C’est la Rome du peuple, la capitale de la République universelle, que Mazzini a déjà rêvée. Il est vrai qu’il y ajoutait le pape… Vois-tu, mon garçon, si nous, les vieux républicains, nous nous sommes ralliés, c’est que notre crainte a été de voir, en cas de révolution, le pays tomber aux mains des fous dangereux qui t’ont troublé la cervelle. Et, ma foi ! nous nous sommes résignés à notre monarchie, qui n’est pas sensiblement différente d’une bonne République parlementaire… Allons, au revoir, et sois sage, songe que ta pauvre mère en mourrait, s’il t’arrivait quelque ennui… Viens que je t’embrasse tout de même.

Angiolo, sous le baiser affectueux du héros, devint rouge comme une jeune fille. Puis, il s’en alla, de son air doux de songeur éveillé, après avoir salué poliment le prêtre, d’un signe de tête, sans ajouter une parole.

Il y eut un silence, et les regards du vieil Orlando ayant rencontré les journaux, épars sur la table, il reparla de l’affreux deuil du palais Boccanera. Cette Benedetta, qu’il avait adorée comme une fille chère, aux jours de tristesse où elle vivait près de lui, quelle mort foudroyante, quel tragique destin, d’avoir été ainsi emportée dans la mort de l’homme qu’elle aimait ! Et, trouvant les récits des journaux singuliers, le cœur douloureux et