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que des domestiques tenaient au poing, ainsi que des torches. Selon l’usage, tous les domestiques de la maison étaient là, pour dire un dernier adieu aux maîtres, qu’on allait coucher à jamais dans la mort.

Il y eut quelque retard. Morano, qui, depuis le matin, se donnait beaucoup de peine, pour veiller aux mille détails, venait de courir encore, désespéré de ne pas voir arriver le triple cercueil. Enfin, des domestiques le montèrent, on put commencer. Le cardinal et donna Serafina se tenaient côte à côte, près du lit. Pierre était là également, ainsi que don Vigilio. Ce fut Victorine qui se mit à coudre les deux amants dans le même suaire, une large pièce de soie blanche, où ils semblèrent vêtus de la même robe de mariée, la robe gaie et pure de leur union. Puis, deux domestiques s’avancèrent, aidèrent Pierre et don Vigilio, à les coucher dans le premier cercueil, de bois de sapin capitonné de satin rose. Il n’était guère plus large que les cercueils ordinaires, tellement les deux amants étaient jeunes, d’une élégance mince, et tellement leur étreinte les nouait, ne faisait d’eux qu’un seul corps. Quand ils y furent allongés, ils y continuèrent leur éternel sommeil, la tête à demi noyée parmi leurs chevelures odorantes qui se mêlaient. Et, quand cette première bière se trouva enfermée dans la seconde, de plomb, puis dans la troisième, de chêne, quand les trois couvercles eurent été soudés et vissés, on continua à voir les faces des deux amants, par l’ouverture ronde, garnie d’une épaisse glace, pratiquée, selon la mode romaine, dans les trois bières. Et, à jamais séparés des vivants, seuls au fond de ce triple cercueil, ils se souriaient toujours, ils se regardaient toujours, de leurs yeux obstinément ouverts, ayant l’éternité pour épuiser leur amour infini.