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l’autre si triomphant. Puis, il entra, et tout de suite, au milieu du cabinet de travail, étroit, meublé d’une simple table et de trois chaises, il aperçut le cardinal Boccanera debout encore, dans l’attitude haute et noble, qu’il avait prise pour saluer Sanguinetti, le rival au trône, redouté, exécré. Et visiblement, dans son espoir, Boccanera se croyait aussi le seul pape possible, celui que devait élire le conclave de demain.

Mais, quand la porte fut refermée, à la vue de ce jeune prêtre, son hôte, qui avait assisté à la mort de ses deux chers enfants, endormis pour toujours dans la salle voisine, le cardinal fut repris d’une émotion indicible, d’une faiblesse inattendue, où toute son énergie sombra. C’était la revanche de son humanité, maintenant que son rival n’était plus là pour le voir. Il chancela ainsi qu’un vieil arbre tremblant sous la cognée, il s’affaissa sur une chaise, tout d’un coup suffoqué par de gros sanglots. Et, comme Pierre voulait, selon le cérémonial, baiser l’émeraude qu’il portait à l’annulaire, il le releva, le fit asseoir immédiatement devant lui, en bégayant d’une voix entrecoupée :

— Non, non, mon cher fils, prenez ce siège, attendez… Excusez-moi, laissez-moi un instant, j’ai le cœur qui éclate.

Il sanglotait dans ses mains jointes, il ne pouvait se maîtriser, renfoncer en lui la douleur, de ses doigts vigoureux encore, qu’il serrait sur ses joues et sur ses tempes.

Des larmes montèrent alors aux yeux de Pierre, revivant à son tour l’affreuse aventure, bouleversé de voir pleurer ce grand vieillard, ce saint et ce prince d’ordinaire si hautain, si maître de lui, et qui n’était plus là qu’un pauvre être d’agonie et de souffrance, aussi perdu, aussi faible qu’un enfant. Étouffant lui-même, il voulut pourtant présenter ses condoléances, il chercha par quelles bonnes paroles il apporterait quelque douceur à ce désespoir.