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passer un frisson dans les os de Pierre. Et lui dont les dents avaient parfois claqué de terreur, la nuit, à la brusque évocation du néant ! Il la trouvait héroïque de n’être pas troublée par les idées d’éternité et d’infini. Ah ! si tout le monde avait eu cette tranquille irréligion, cette insouciance si sage, si gaie, du petit peuple incrédule de France, quel calme soudain parmi les hommes, quelle vie heureuse !

Et, comme elle le sentait qui frémissait ainsi, elle ajouta :

— Que voulez-vous donc qu’il y ait après la mort ? On a bien mérité de dormir, c’est encore ce qu’il y a de plus désirable et de plus consolant. Si Dieu avait à récompenser les bons et à punir les méchants, il aurait vraiment trop à faire. Est-ce que c’est possible, un pareil jugement ? Est-ce que le bien et le mal ne sont pas dans chacun, à ce point mêlés, que le mieux serait encore d’acquitter tout le monde ?

— Mais, murmura-t-il, ces deux-là, si aimables, si aimés, n’ont pas vécu, et pourquoi ne pas se donner la joie de croire qu’ils revivent, récompensés ailleurs, aux bras l’un de l’autre, éternellement ?

De nouveau, elle secoua la tête.

— Non, non !… Je le disais bien, que ma pauvre Benedetta avait tort de se martyriser avec des idées de l’autre monde, en se refusant à son amoureux, qu’elle désirait tant. Moi, si elle avait voulu, je le lui aurais amené dans sa chambre, son amoureux, et sans maire, et sans curé encore ! C’est si rare, le bonheur ! On a tant de regret, plus tard, quand il n’est plus temps !… Et voilà toute l’histoire de ces deux pauvres mignons. Il n’est plus temps pour eux, ils sont morts, et on a beau mettre les amoureux dans les étoiles, voyez-vous, quand ils sont morts, ils le sont bien, ça ne leur fait plus ni chaud ni froid, de s’embrasser !

À son tour, elle était reprise par les larmes, elle sanglotait.