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souffrance, ainsi qu’il l’avait dit. Et, aux genoux de ce pape immobile et muet, il était là toute la misère humaine en larmes.

Léon XIII, qui aimait surtout parler, et qui devait faire un effort sur lui-même pour écouter parler les autres, avait d’abord, à deux reprises, levé une de ses mains pâles pour l’interrompre. Puis, saisi peu à peu d’étonnement, gagné lui-même par l’émotion, il lui avait permis de continuer, d’aller jusqu’au bout de son cri, dans le désordre du flot irrésistible qui l’emportait. Un peu de sang était monté à la neige de son visage, ses lèvres et ses joues s’étaient rosées faiblement, tandis que ses yeux noirs luisaient d’un éclat plus vif. Dès qu’il le vit sans voix, abattu à ses pieds, secoué par ces gros sanglots qui semblaient lui arracher le cœur, il s’inquiéta, il se pencha.

— Mon fils, calmez-vous, relevez-vous…

Mais les sanglots continuaient, débordaient, emportaient toute raison et tout respect, dans la plainte éperdue de l’âme blessée, dans le grondement de la chair qui souffre et qui agonise.

— Relevez-vous, mon fils, ce n’est pas convenable… Tenez ! prenez cette chaise.

Et, d’un geste d’autorité, il l’invita enfin à s’asseoir.

Pierre, péniblement, se releva, s’assit, pour ne pas tomber. Il écartait ses cheveux de son front, il essuyait de ses mains ses larmes brûlantes, l’air fou, tâchant de se ressaisir, ne pouvant comprendre ce qui venait de se passer.

— Vous faites appel au Saint-Père. Ah ! certes, soyez convaincu que son cœur est plein de pitié et de tendresse pour les malheureux. Mais la question n’est pas là, il s’agit de notre sainte religion… J’ai lu votre livre, un mauvais livre, je vous le dis tout de suite, le plus dangereux et le plus condamnable des livres, précisément par ses qualités, par les pages qui m’ont intéressé moi-même. Oui, j’ai été séduit souvent, je n’aurais pas continué ma lecture,