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Alors, elle promit de se taire. Elle s’attendrissait, parlait de monsignor Nani comme d’un bienfaiteur, car n’était-ce pas à lui qu’elle devait d’être parvenue enfin à faire annuler son mariage ? Puis, reprise d’une bouffée de folle joie :

— Dites donc, mon ami, n’est-ce pas que le bonheur seul est bon ?… Vous ne me demandez pas des larmes, aujourd’hui, même pour les pauvres qui souffrent, qui ont froid et qui ont faim… Ah ! c’est qu’il n’y a vraiment que le bonheur de vivre ! Ça guérit tout. On ne souffre pas, on n’a pas froid, on n’a pas faim, quand on est heureux !

Stupéfait, il la regarda, dans la surprise que lui causait cette singulière solution donnée à la question redoutable de la misère. Soudainement, il sentait que toute sa tentative d’apostolat était vaine, sur cette fille d’un beau ciel, ayant en elle l’atavisme de tant de siècles de souveraine aristocratie. Il avait voulu la catéchiser, l’amener à l’amour chrétien des humbles et des misérables, la conquérir à la nouvelle Italie qu’il rêvait, éveillée aux temps nouveaux, pleine de pitié pour les choses et pour les êtres. Et, si elle s’était attendrie avec lui sur les souffrances du bas peuple, aux heures où elle souffrait elle-même, le cœur saignant des plus cruelles blessures, la voilà qui, dès sa guérison, célébrait l’universelle félicité, en créature des brûlants étés et des hivers doux comme des printemps !

— Mais, dit-il, tout le monde n’est pas heureux.

— Oh ! si, oh ! si, cria-t-elle. C’est que vous ne les connaissez pas, les pauvres !… Qu’on donne à une fille de notre Transtévère le garçon qu’elle aime, et elle est aussi radieuse qu’une reine, elle mange son pain sec, le soir, en lui trouvant le goût sucré le plus délicieux. Les mères qui sauvent un enfant d’une maladie, les hommes qui sont vainqueurs dans une bataille, ou bien qui voient leurs numéros sortir à la loterie, tout le monde est comme ça, tout le monde ne demande que de la chance