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comtesse. Mais il s’était renfoncé un peu dans l’embrasure, de crainte sans doute, qu’on ne remarquât sa pâleur, le tic douloureux qui contractait ses lèvres. Il n’était pas en état de lutter, de se faire voir riant et insolent, à côté de la joie du couple, si naïvement affichée. Et il fut heureux du répit que lui donna, à ce moment, l’arrivée du roi et de la reine.

— Ah ! voici Leurs Majestés ! s’écria-t-il en se tournant vers la fenêtre. Voyez donc cette bousculade, dans la rue !

En effet, malgré les vitres fermées, un tumulte de foule montait des trottoirs. Et Pierre, ayant regardé, vit, dans le reflet des lampes électriques, une nappe de têtes humaines envahir la chaussée et se presser autour des carrosses. Déjà, à plusieurs reprises, il avait rencontré le roi, pendant ses promenades quotidiennes à la villa Borghèse, venant là comme un modeste particulier, un brave bourgeois, sans gardes, sans escorte, n’ayant avec lui, dans sa victoria, qu’un aide de camp. D’autres fois, il était seul, il conduisait un léger phaéton, accompagné simplement d’un valet de pied en livrée noire. Même une fois, il avait emmené la reine, tous deux assis côte à côte, en bon ménage qui se promène pour son plaisir. Et le monde affairé des rues, les promeneurs des jardins, en les voyant passer ainsi, se contentaient de les saluer d’un geste affectueux, sans les importuner d’acclamations, tandis que les plus expansifs se contentaient de s’approcher librement pour leur sourire. Aussi Pierre, dans l’idée traditionnelle qu’il se faisait des rois qui se gardent et qui défilent, entourés de toute une pompe militaire, avait-il été singulièrement surpris et touché de la bonhomie aimable de ce ménage royal s’en allant à sa guise, avec une belle sécurité, au milieu de l’amour souriant de son peuple. D’autres détails sur le Quirinal lui étaient venus de partout, la bonté et la simplicité du roi, son désir de paix, sa passion de la chasse, de la solitude et du grand