— Tenez ! souffla tout bas Narcisse à Pierre, les Sacco, là, en face de nous, ce petit homme noir et cette dame en soie mauve.
Pierre reconnut Stefana, qu’il avait rencontrée chez le vieil Orlando, avec sa figure claire au gentil sourire, ses traits menus que noyait un embonpoint naissant. Mais ce fut surtout le mari qui l’intéressa, brun et sec, les yeux gros dans un teint de jaunisse, le menton proéminent et le nez en bec de vautour, un masque gai de Polichinelle napolitain, et dansant, criant, et d’une belle humeur si envahissante, que les gens, autour de lui, étaient gagnés tout de suite. Il avait une faconde extraordinaire, une voix surtout, un instrument de charme et de conquête incomparable. Rien qu’à le voir, dans ce salon, séduire si aisément les cœurs, on comprenait ses succès foudroyants, au milieu du monde brutal et médiocre de la politique. Pour le mariage de son fils, il venait de manœuvrer avec une adresse rare, affectant une délicatesse outrée, contre Celia, contre Attilio lui-même, déclarant qu’il refusait son consentement, de peur qu’on ne l’accusât de voler une dot et un titre. Il n’avait cédé qu’après les Buongiovanni, il avait voulu prendre auparavant l’avis du vieil Orlando, dont la haute loyauté héroïque était proverbiale dans l’Italie entière ; d’autant plus qu’en agissant ainsi, il savait aller au-devant d’une approbation, car le héros ne se gênait pas pour répéter tout haut que les Buongiovanni devaient être enchantés d’accueillir dans leur famille son petit-neveu, un beau garçon, de cœur sain et brave, qui régénérerait leur vieux sang épuisé, en faisant à leur fille de beaux enfants. Et Sacco, dans toute cette affaire, s’était merveilleusement servi du nom légendaire d’Orlando, faisant sonner sa parenté, montrant une vénération filiale pour le glorieux fondateur de la patrie, sans paraître vouloir se douter un instant à quel point celui-ci le méprisait et l’exécrait, désespéré de son arrivée au pouvoir, convaincu qu’il mènerait le pays à la ruine et à la honte.