— En deux heures, une congestion cérébrale suffit, et un anévrisme tue même en deux minutes.
— C’est vrai, mais demandez-lui ce qu’il a pensé devant les longs frissons, la face qui se plombait, les yeux qui se creusaient, ce masque d’épouvante où il ne retrouvait plus rien de son ami. Il en a la conviction absolue, monsignor Gallo a été empoisonné parce qu’il était son confident le plus cher, son conseiller toujours écouté, dont les sages avis étaient des garants de victoire.
L’ahurissement de Pierre avait grandi. Il s’adressa directement à Santobono, qui achevait de le troubler par son impassibilité irritante.
— C’est imbécile, c’est effroyable, et vous aussi, monsieur le curé, vous croyez à ces affreuses histoires ?
Pas un poil du prêtre ne bougea. Il ne desserra pas ses grosses lèvres violentes, il ne détourna pas ses yeux de flamme noire, qu’il tenait fixés sur Prada. Celui-ci, d’ailleurs, continuait à donner des exemples. Et monsignor Nazzarelli, qu’on avait trouvé dans son lit, réduit et calciné comme un charbon ! Et monsignor Brando, frappé à Saint-Pierre même, pendant les vêpres, mort dans la sacristie, vêtu de ses habits sacerdotaux !
— Ah ! mon Dieu ! soupira Pierre, vous m’en direz tant, que je finirai par trembler, moi aussi, et par ne plus oser manger que des œufs à la coque, dans votre terrible Rome !
Cette boutade les égaya un instant, le comte et lui. Et c’était vrai, une terrible Rome se dégageait de leur conversation, la ville éternelle du crime, du poignard et du poison, où, depuis plus de deux mille ans, depuis le premier mur bâti, la rage du pouvoir, l’appétit furieux de posséder et de jouir, avait armé les mains, ensanglanté le pavé, jeté des victimes au Tibre ou dans la terre. Assassinats et empoisonnements sous les empereurs, empoisonnements et assassinats sous les papes, le même flot d’abominations roulait les morts sur ce sol tragique, dans la gloire souveraine du soleil.