bords noirs qui s’enfonçaient, ce lac morne et noir qui gisait, là-bas, au fond !
Le comte Prada s’était mis à rire de cette impression.
— Oui, oui, c’est vrai, le lac de Nemi n’est pas gai tous les jours. Je l’ai vu, par des temps gris, couleur de plomb ; et les grands soleils, tout en l’éclairant, ne l’animent guère. Pour mon compte, je sais que je périrais d’ennui, s’il me fallait vivre en face de cette eau toute nue. Mais il a pour lui les poètes et les femmes romanesques, celles qui adorent les grands amours passionnés, aux dénouements tragiques.
Puis, comme les deux convives s’étaient levés de table, pour aller prendre le café sur une terrasse, la conversation changea.
— Est-ce que, ce soir, reprit le comte, vous comptez vous rendre à la réception du prince Buongiovanni ? Ce sera, pour un étranger, un spectacle curieux, que je vous conseille de ne pas manquer.
— Oui, j’ai une invitation, répondit Pierre. C’est un de mes amis, monsieur Narcisse Habert, un attaché de notre ambassade, qui me l’a procurée et qui, du reste, doit m’y conduire.
En effet, il devait y avoir, le soir même, une fête au palais Buongiovanni, sur le Corso, un de ces rares galas comme il ne s’en donne que deux ou trois par hiver. On racontait que celui-ci dépasserait tout en magnificence, car il avait lieu à l’occasion des fiançailles de Celia, la petite princesse. Brusquement, le prince, après avoir giflé sa fille, disait-on, et avoir lui-même couru des risques sérieux d’apoplexie, dans une crise d’effroyable colère, venait de céder devant le tranquille et doux entêtement de la jeune fille, en consentant à son mariage avec le lieutenant Attilio, le fils du ministre Sacco ; et tous les salons de Rome, le monde blanc aussi bien que le monde noir, en étaient bouleversés.
Le comte Prada s’égayait de nouveau.