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point contre mon devoir… Mais je crains fort que votre livre ne soit condamné.

Et, sur un nouveau sursaut de Pierre :

— Ah ! dame, oui !… Ce sont les faits que l’on juge, et non les intentions. Toute défense est donc inutile, le livre est là, et il est ce qu’il est. Vous aurez beau l’expliquer, vous ne le changerez pas… C’est pourquoi la congrégation ne convoque jamais les accusés, n’accepte d’eux que la rétractation pure et simple. Et c’est encore ce que vous auriez de plus sage à faire, retirer votre livre, vous soumettre… Non ! vous ne voulez pas ? Ah ! que vous êtes jeune, mon ami !

Il riait plus haut du geste de révolte, d’indomptable fierté, qui venait d’échapper à son jeune ami, comme il le nommait. Puis, à la porte, dans une nouvelle expansion, baissant la voix :

— Voyons, mon cher, je veux faire quelque chose pour vous, je vais vous donner un bon conseil… Moi, au fond, je ne suis rien. Je livre mon rapport, on l’imprime, on le lit, quitte à n’en tenir aucun compte… Tandis que le secrétaire de la congrégation, le père Dangelis, peut tout, même l’impossible… Allez donc le voir, au couvent des Dominicains, derrière la place d’Espagne… Ne me nommez pas. Et au revoir, mon cher, au revoir !

Pierre, étourdi, se retrouva sur la place Navone, ne sachant plus ce qu’il devait croire et espérer. Une pensée lâche l’envahissait : pourquoi continuer cette lutte où les adversaires restaient ignorés, insaisissables ? Pourquoi davantage s’entêter dans cette Rome si passionnante et si décevante ? Il fuirait, il retournerait le soir même à Paris, y disparaîtrait, y oublierait les désillusions amères dans la pratique de la plus humble charité. Il était dans une de ces heures d’abandon où la tâche longtemps rêvée apparaît brusquement impossible. Mais, au milieu de son désarroi, il allait pourtant, il marchait quand même à son but. Quand il se vit sur le Corso, puis rue des Condotti,