Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/419

Cette page n’a pas encore été corrigée

cents millions de Mahométans, plus de sept cents millions de Brahmanistes et de Bouddhistes, sans compter les cent millions d’autres païens, de toutes les religions, au total un milliard, devant lequel les chrétiens n’étaient guère que quatre cents millions, divisés entre eux, en continuelle bataille, une moitié avec Rome, l’autre moitié contre Rome ! Était-ce possible que le Christ n’eût pas même, en dix-huit siècles, conquis le tiers de l’humanité, et que Rome, l’éternelle, la toute-puissante, ne comptât comme soumise que la sixième partie des peuples ? Une seule âme sauvée sur six, quelle proportion effrayante ! Mais la carte parlait brutalement, l’empire de Rome, colorié en rouge, n’était qu’un point perdu, quand on le comparait à l’empire des autres dieux, colorié en jaune, les contrées sans fin que la Propagande avait encore à soumettre. Et la question se posait, combien de siècles faudrait-il pour que les promesses du Christ fussent remplies, la terre entière soumise à sa loi, la société religieuse recouvrant la société civile, ne formant plus qu’une croyance et qu’un royaume ? Et, devant cette question, devant cette prodigieuse besogne à terminer, quel étonnement, lorsqu’on songeait à la tranquille sérénité de Rome, à son obstination patiente, qui n’a jamais douté, qui doute aujourd’hui moins que jamais, toujours à l’œuvre par ses évêques et par ses missionnaires, incapable de lassitude, faisant son œuvre sans arrêt comme les infiniment petits ont fait le monde, dans l’absolue certitude qu’elle seule, un jour, sera la maîtresse de la terre !

Ah ! cette armée continuellement en marche, Pierre la voyait, l’entendait à cette heure, par delà les mers, au travers des continents, préparer et assurer la conquête politique, au nom de la religion. Narcisse lui avait conté avec quel soin les ambassades devaient surveiller les agissements de la Propagande, à Rome ; car les missions étaient souvent des instruments nationaux, au loin, d’une force décisive. Le spirituel assurait le temporel, les