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chandelier d’or à sept branches, que Titus avait rapporté de Jérusalem ? et ces pâleurs sans cesse déformées par les remous, n’étaient-ce pas des blancheurs de colonnes et de statues ? et ces moires profondes, toutes reluisantes de petites flammes, n’était-ce pas un amas, un pêle-mêle de métaux précieux, des coupes, des vases, des bijoux ornés de pierreries ? Quel rêve que ce pullulement entrevu au sein du vieux fleuve, la vie cachée de ces trésors, qui auraient dormi là pendant tant de siècles ! et quel espoir, pour l’orgueil et l’enrichissement d’un peuple, que les trouvailles miraculeuses qu’on ferait dans le Tibre, si l’on pouvait le fouiller, le dessécher un jour, comme le projet en a déjà été fait ! La fortune de Rome était là peut-être.

Mais, par cette nuit si noire, Pierre, accoudé au parapet, n’avait en lui que des pensées de sévère réalité. Il continuait les réflexions de la journée, que lui avait inspirées sa visite au Transtévère, puis au palais Farnèse. Il aboutissait, devant cette eau morte, à cette conclusion que le choix de Rome, pour en faire une capitale moderne, était le grand malheur dont souffrait la jeune Italie. Et il savait bien que ce choix s’imposait comme inévitable, Rome étant la reine de gloire, l’antique maîtresse du monde à laquelle l’éternité était promise, sans laquelle l’unité nationale avait toujours paru impossible ; de sorte que le cas se posait terrible, puisque sans Rome l’Italie ne pouvait pas être, et qu’avec Rome il semblait maintenant difficile qu’elle fût. Ah ! ce fleuve mort, quelle sourde voix de désastre il prenait dans la nuit ! Pas une barque, pas un frisson de l’activité commerciale et industrielle des eaux qui charrient la vie au cœur des grandes villes ! Sans doute on avait fait de beaux projets, Rome port de mer, des travaux gigantesques, le lit creusé pour permettre aux navires de fort tonnage de remonter jusqu’à l’Aventin ; mais ce n’étaient là que des chimères, à peine finirait-on par désembourber l’embouchure, qui, continuellement,