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prenaient près du tiers de leurs revenus, devaient désormais se résigner à voir leurs derniers millions stagnants s’épuiser sur place, se diviser par les partages, mourir comme l’argent meurt, ainsi que toutes choses, lorsqu’il ne fructifie plus dans une terre vivante. Il n’y avait là qu’une question de temps, car la ruine finale était irrémédiable, d’une absolue fatalité historique. Et ceux qui consentaient à louer, luttaient encore pour la vie, tâchaient de s’accommoder à l’époque présente, en s’efforçant au moins de peupler le désert de leurs palais trop vastes ; tandis que la mort habitait déjà chez les autres, chez les entêtés et les superbes qui se muraient dans le tombeau de leur race, comme ce terrifiant palais Boccanera, tombant en poudre, si glacé d’ombre et de silence, où l’on n’entendait de loin en loin que le vieux carrosse du cardinal, sortant ou rentrant, roulant sourdement sur l’herbe de la cour.

Mais Pierre, surtout, venait d’être frappé de ces deux visites successives, au Transtévère et au palais Farnèse, et elles s’éclairaient l’une l’autre, et elles aboutissaient à une conclusion, qui jamais encore ne s’était formulée en lui avec une netteté si effrayante : pas encore de peuple et bientôt plus d’aristocratie. Cela, dès lors, le hanta comme la fin d’un monde. Le peuple, il l’avait vu si misérable, d’une ignorance et d’une résignation telles, dans la longue enfance où le maintenaient l’histoire et le climat, que de longues années d’éducation et d’instruction étaient nécessaires pour qu’il constituât une démocratie forte, saine, laborieuse, ayant conscience de ses droits ainsi que de ses devoirs. L’aristocratie, elle achevait de mourir au fond de ses palais croulants, elle n’était plus qu’une race finie, abâtardie, si mélangée d’ailleurs de sang américain, autrichien, polonais, espagnol, que le pur sang romain devenait la rare exception ; sans compter qu’elle avait cessé d’être d’épée et d’Église, répugnant à servir l’Italie constitutionnelle, désertant le Sacré Collège, où