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vastes terrains vagues, où l’on n’avait pu reconstruire encore. Cette ville en évolution l’intéressait infiniment. Plus tard sans doute, on achèverait de la rebâtir, mais quelle heure passionnante, celle où la vieille cité agonisait dans la nouvelle, à travers tant de difficultés ! Il fallait avoir connu la Rome des immondices, noyée sous les excréments, les eaux ménagères et les détritus de légumes. Le Ghetto, récemment rasé, avait, depuis des siècles, imprégné le sol d’une telle pourriture humaine, que l’emplacement, demeuré nu, plein de bosses et de fondrières, exhalait toujours une infâme pestilence. On faisait bien de le laisser longtemps se sécher ainsi et se purifier au soleil. Dans ces quartiers, aux deux bords du Tibre, où l’on a entrepris des travaux d’édilité considérables, c’est à chaque pas la même rencontre : on suit une rue étroite, puante, d’une humidité glaciale, entre les façades sombres, aux toits qui se touchent presque, et l’on tombe brusquement dans une éclaircie, dans une clairière ouverte à coups de hache, parmi la forêt des vieilles masures lépreuses. Il y a là des squares, des trottoirs larges, de hautes constructions blanches, chargées de sculptures, une capitale moderne à l’état d’ébauche, pas finie, encombrée de gravats, barrée de palissades. Partout des amorces de voies projetées, le colossal chantier que la crise financière menace d’éterniser maintenant, la ville de demain arrêtée dans sa croissance, restée en détresse, avec ses commencements démesurés, trop hâtifs et qui détonnent. Mais ce n’en était pas moins une besogne bonne et saine, d’une nécessité sociale absolue pour une grande ville d’aujourd’hui, à moins de laisser la vieille Rome se pourrir sur place, telle qu’une curiosité des anciens âges, une pièce de musée qu’on garde sous verre.

Ce jour-là, Pierre, en se rendant du Transtévère au palais Farnèse, où il était attendu, fit un détour, passa par la rue des Pettinari, puis par la rue des Giubbonari, la première si sombre, si resserrée entre le grand mur