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seules boutiques alléchantes étaient celles des charcutiers, dont les salaisons et les fromages corrigeaient un peu, de leur odeur âpre, l’infection des ruisseaux. Les bureaux de loterie, où les numéros gagnants étaient affichés, alternaient avec les cabarets, des cabarets tous les trente pas, qui annonçaient en grosses lettres les vins choisis des Châteaux romains, Genzano, Marino, Frascati. Et, par les rues du quartier, une population grouillante, en guenilles et malpropre, des bandes d’enfants à moitié nus que la vermine dévorait, des femmes en cheveux, en camisole, en jupon de couleur, qui gesticulaient et criaient, des vieillards assis sur des bancs, immobiles sous le vol bourdonnant des mouches, toute une vie oisive et agitée, au milieu du continuel va-et-vient de petits ânes traînant des charrettes, d’hommes conduisant des dindes à coups de fouet, de quelques touristes inquiets, sur lesquels se ruaient aussitôt des bandes de mendiants. Des savetiers s’installaient tranquillement, travaillaient sur le trottoir. À la porte d’un petit tailleur, un vieux seau de ménage était accroché, plein de terre, fleuri d’une plante grasse. Et, de toutes les fenêtres, de tous les balcons, sur des cordes jetées d’une maison à l’autre, en travers de la rue, pendaient les lessives des ménages, un pavoisement de loques sans nom, qui étaient comme les drapeaux symboliques de l’abominable misère.

Pierre sentait son âme fraternelle se soulever d’une pitié immense. Ah ! certes, oui ! il fallait les jeter bas, ces quartiers de souffrance et de peste, où le peuple avait si longtemps croupi comme dans une geôle empoisonnée, et il était pour l’assainissement, pour la démolition, quitte à tuer l’ancienne Rome, au grand scandale des artistes. Déjà le Transtévère était bien changé, des voies nouvelles l’éventraient, des prises d’air pratiquées à grands coups de pioche, qui le pénétraient de nappes de soleil. Ce qui en restait semblait plus noir, plus immonde, au milieu de ces abattis de maisons, de ces trouées récentes,