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il n’y avait partout que des fondrières, des éboulements, au milieu des matériaux laissés à l’abandon. Seuls, des enfants misérables venaient jouer parmi ces décombres où le palais s’enfonçait, des ouvriers sans travail dormaient lourdement au grand soleil, des femmes étendaient leur pauvre lessive sur les tas de cailloux. Et, cependant, c’était pour Pierre un asile heureux, de paix certaine, inépuisable en songeries, lorsqu’il s’y oubliait pendant des heures, à regarder le fleuve, et les quais, et la ville, en face, aux deux bouts.

Dès huit heures, le soleil dorait la vaste trouée de sa lumière blonde. Quand il regardait là-bas, vers la gauche, il apercevait les toits lointains du Transtévère, qui se découpaient, d’un gris bleu noyé de brume, sur le ciel éclatant. Vers la droite, le fleuve faisait un coude au delà de l’abside ronde de Saint-Jean des Florentins, les peupliers de l’Hôpital du Saint-Esprit drapaient sur l’autre rive leur verdoyant rideau, laissant voir, à l’horizon, le profil clair du château Saint-Ange. Mais, surtout, il ne pouvait détacher les yeux de la berge d’en face, car un morceau de la très vieille Rome y était demeuré intact. Du pont Sisto au pont Saint-Ange, en effet, se trouvait, sur la rive droite, la partie des quais laissée en suspens, dont la construction devait achever, plus tard, de murer le fleuve entre les deux colossales murailles de forteresse, hautes et blanches. Et c’était en vérité une surprise et un charme que cette extraordinaire évocation des anciens âges, cette berge chargée de tout un lambeau de la vieille ville des papes. Sur la rue de la Lungara, les façades uniformes avaient dû être rebadigeonnées ; mais, ici, les derrières des maisons, qui descendaient jusque dans l’eau, restaient lézardés, roussis, éclaboussés de rouille, patinés par les étés brûlants, comme d’antiques bronzes. Et quel amas, quel entassement incroyable ! En bas, des voûtes noires où le fleuve entrait, des pilotis soutenant des murs, des pans de construction romaine plongeant à pic ; puis, des