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larmes, elle le couvrait de baisers, en balbutiant des paroles de flamme.

— Ah ! si je te perdais, si je te perdais… Et je ne me suis pas donnée à toi, j’ai eu cette bêtise de me refuser, lorsqu’il était temps encore de connaître le bonheur… Oui, une idée pour la Madone, une idée que la virginité lui plaît et qu’on doit se garder vierge à son mari, si l’on veut qu’elle bénisse le mariage… Qu’est-ce que ça pouvait lui faire que nous fussions heureux tout de suite ? Et puis, et puis, vois-tu, si elle m’avait trompé, si elle te prenait avant que nous eussions dormi aux bras l’un de l’autre, eh bien ! je n’aurais plus qu’un regret, celui de ne m’être pas damnée avec toi, oui, oui ! la damnation plutôt que de ne pas nous être possédés de tout notre sang, de toutes nos lèvres !

Était-ce donc la femme si calme, si raisonnable, qui patientait, pour mieux organiser son existence ? Pierre, terrifié, ne la reconnaissait plus. Jusque-là, il l’avait vue d’une telle réserve, d’une pudeur si naturelle, dont le charme presque enfantin semblait venir de sa nature elle-même ! Sans doute, sous le coup de la menace et de la peur, le terrible sang des Boccanera venait de se réveiller en elle, tout un atavisme de violence, d’orgueil, de furieux appétits, exaspérés et déchaînés. Elle voulait sa part de vie, sa part d’amour. Et elle grondait, elle clamait, comme si la mort, en lui prenant son amant, lui arrachait de sa propre chair.

— Je vous en supplie, madame, répétait le prêtre, calmez-vous… Il vit, son cœur bat… Vous vous faites un mal affreux.

Mais elle voulait mourir avec lui.

— Oh ! mon chéri, si tu t’en vas, emporte-moi, emporte-moi… Je me coucherai sur ton cœur, je te serrerai si fort entre mes deux bras, qu’ils entreront dans les tiens, et qu’il faudra bien qu’on nous enterre ensemble… Oui, oui, nous serons morts et nous serons mariés tout