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redevenu très gai. Il n’y a rien de tel pour chasser les idées noires.

Mais Pierre se montrait insatiable de détails. En chemin, il questionna encore Narcisse sur le peuple de Rome, sa vie, ses habitudes, ses mœurs. L’instruction était presque nulle. Aucune industrie d’ailleurs, aucun commerce pour le dehors. Les hommes exerçaient les quelques métiers courants, toute la consommation ayant lieu sur place. Parmi les femmes, il y avait des perlières, des brodeuses, et l’article religieux, les médailles, les chapelets, avait de tout temps occupé un certain nombre d’ouvriers, de même que la fabrication des bijoux locaux. Mais, dès que la femme était mariée, mère de ces nuées d’enfants qui poussaient à miracle, elle ne travaillait guère. En somme, c’était une population se laissant vivre, travaillant juste assez pour manger, se contentant de légumes, de pâtes, de basse viande de mouton, sans révolte, sans ambition d’avenir, n’ayant que le souci de cette vie précaire, au jour le jour. Les deux seuls vices étaient le jeu et les vins rouges et blancs des Châteaux romains, des vins de querelle et de meurtre, qui, les soirs de fête, au sortir des cabarets, semaient les rues d’hommes râlants, la peau trouée à coups de couteau. Les filles se débauchaient peu, on comptait celles qui se donnaient avant le mariage. Cela venait de ce que la famille était restée très unie, soumise étroitement à l’autorité absolue du père. Et les frères eux-mêmes veillaient sur l’honnêteté des sœurs, comme ce Tito si dur à la Pierina, la gardant avec un soin farouche, non par une pensée de jalousie inavouable, mais pour le bon renom, pour l’honneur de la famille. Et cela sans religion réelle, au milieu de la plus enfantine idolâtrie, tous les cœurs allant à la Madone et aux saints, qui seuls existaient, que seuls on implorait, en dehors de Dieu, à qui personne ne s’avisait de songer.

Dès lors, la stagnation de ce bas peuple s’expliquait aisément. Il y avait, derrière, des siècles de paresse encouragée,